3 déc. 2025
Pratiques illicites des courtiers immobiliers: jusqu'à quand l'impunité?
Les Vaudois aiment chanter leur amour des lois. Malheureusement, les courtiers vaudois n’en font pas de même. La vilaine pratique que nous décortiquons ici est connue de tous au sein de la branche, y compris au niveau des associations professionnelles, mais rien n’y fait. Chaque jour, des centaines de courtiers violent la loi et l’éthique comme si de rien n’était, impunément. Précisons que les Vaudois ne sont ni pires ni meilleurs que les autres; toute la Suisse romande est concernée par ce fléau.
De quoi s’agit-il?
Un courrier envoyé par le Département vaudois des finances aux professionnels de l’immobilier offre l’occasion de se plonger dans la matière. Il remonte à février 2023, indiquant que le problème ne date pas d’hier. Il est consacré à l’accès en ligne au registre foncier. Une ordonnance fédérale fixe les règles du jeu. Peuvent consulter en deux clics les données du registre foncier pour leurs besoins professionnels: les géomètres, les notaires, les banques, les autorités fiscales, etc. Vous l’aurez compris, les courtiers figurent dans cette liste. A juste titre, car les informations du registre foncier sont essentielles à la bonne pratique du métier.
Venons-en au problème. Ce privilège est accordé aux courtiers à condition de faire preuve de retenue et de ne pas utiliser ces données à des fins commerciales. Lorsqu’ils remplissent le formulaire pour obtenir l’accès privilégié, ils s’engagent explicitement à ne l’utiliser que pour leurs propres besoins et non pour s’adonner à du démarchage non autorisé.
La tentation du courtier immobilier
Car bien sûr la tentation existe. Les clients des courtiers sont les propriétaires d’un bien immobilier. Le registre foncier, précisément, en regorge. La tentation est donc grande d’aller y puiser des adresses pour ensuite offrir ses services à travers des mailings à large échelle ou des courriers personnalisés. Or, la loi interdit explicitement cette pratique. Dans le courrier officiel du canton, le rappel aux brebis galeuses est sans équivoque: «L’utilisation des données à des fins de démarchage commercial ou à d’autres buts de type publicitaire est strictement interdite.»
Une majorité de courtiers n’en a cure. Je n’ai pas besoin de faire un dessin aux propriétaires qui me lisent. Ils ont l’habitude de voir leur boîte aux lettres inondée de courriers leur proposant de vendre leur maison, alors même qu’ils n’ont aucunement l’intention de s’en séparer. Car c’est bien connu: la majorité des propriétaires sont très heureux dans leurs murs et ne sont pas vendeurs. Pourtant, des courtiers hors-la-loi les harcèlent. Après le courrier, on passe aux coups de fil. Forcément ! Le courtier se croit autorisé à faire le suivi de son courrier. Il appelle innocemment pour s’assurer que le propriétaire l’a bien reçu et se fait, dans la majorité des cas, rabrouer. Mais le mal est fait. Tous les jours, il se produit donc exactement ce que la loi cherche à empêcher.
La chasse aux mandats
Il y a pire. Appelons ça la chasse aux mandats. Certaines agences suivent les bonnes pratiques. Elles investissent dans la publicité de leurs services. On voit leurs affiches dans les rues, leurs spots à la télévision, leurs annonces dans les journaux. Résultat: les propriétaires-vendeurs s’adressent spontanément à elles pour mettre en vente leur bien.
Malheureusement, une majorité de courtiers préfère économiser ces frais de marketing et adopte une autre méthode: piquer les mandats des autres. Pour cela, il suffit de scruter tous les matins Homegate et Immoscout24, les deux portails immobiliers qui possèdent un quasi-monopole dans l’immobilier – comme la Coop et la Migros dans l’alimentaire. On y trouve tout et, en particulier, les nouveaux biens mis en vente par les agences concurrentes. Ni une, ni deux, le courtier utilise abusivement son accès privilégié au registre foncier pour identifier, derrière l’adresse postale, le nom du propriétaire. Le tour est joué et le harcèlement peut commencer.
«Parole, parole, parole»
Ces courriers ciblés dégoulinent de promesses: «Nous pouvons vendre votre bien à un prix largement supérieur!»; «Nous avons plusieurs acheteurs intéressés par votre bien!»; «Nous vous promettons une vente rapide!». Les pires mensonges sont déversés avec le sourire, bien sûr, mais dans la plus totale illégalité.
Les registres fonciers savent très exactement qui consulte quoi et quand. Ils peuvent donc identifier sans peine les moutons noirs de la profession. Ensuite, la loi est claire: «Lorsqu’il constate un traitement illicite des données, le canton a l’obligation de retirer immédiatement l’accès.» Dans son courrier, le Département des finances annonçait vouloir le faire en deux temps: d’abord, «suspension sans préavis pour une durée d’un mois, en cas de récidive, retrait définitif.» Il ne reste plus qu’à joindre le geste à la parole.